16 Nov. Faire un malheur : histoire d’une expression antinomique
Cette expression nous plonge dans un réel embarras lexical. Elle se dit à la fois pour évoquer une action négative, on parle de malheur quand même, et pour qualifier une action prise dans un sens positif. Comment peut-on expliquer un tel paradoxe ?
Signification de la locution
On utilise cette expression pour indiquer que l’on pose un acte dont les conséquences sont graves, qui peuvent porter malheur aux autres. Empêchez-le de sortir, sinon il fera un malheur, voilà une phrase qui cadre bien avec ce premier sens de l’expression.
Bizarrement, la même locution s’emploie pour dire complètement autre chose. Cette actrice a fait un malheur avec sa robe à l’ouverture du Festival de Cannes. On comprend à travers cet énoncé que l’expression renvoie au succès
Étymologie de « faire un malheur »
En ce qui concerne le premier sens de l’expression, le plus logique, il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures. Entrée dès la moitié du XIXe siècle, cette acception s’impose comme la signification normale de l’expression. Avant qu’une personne en proie à la colère ne puisse se mettre à faire n’importe quoi et à causer un malheur, on devrait l’arrêter.
Le deuxième sens est apparu plus récemment. Il constitue ce qu’on appelle en langage technique une antiphrase. On dit le contraire de quelque chose pour en réalité faire percevoir cette chose. Le plus souvent, c’est au sujet des spectacles que l’expression s’emploie. « À sa sortie, ce film a fait un malheur retentissant » pour signifier que la production cinématographique a drainé les foules pendant plusieurs semaines quand elle a gagné les salles obscures.
Un exemple
Dans son Vocabulaire du cirque et du music-hall en France, Hugues Hotier illustre l’expression « faire un malheur » en ces termes : « Tu peux toujours t’aligner. Dix artistes prendront un bide, il arrivera et il fera un malheur ».
Comme vous l’avez sans doute compris, c’est le sens positif qui nous a intéressés ici.